Generally from the provinces and from precarious backgrounds, to counteract the inequality of opportunity at the door of universities, more and more female students are voluntarily choosing to become part-time prostitutes. In order not to give up on their projects, to escape small jobs and social organisations and to be able to consume and live from now on. Survey.
Généralement issues de province et de milieux précaires, pour contrer l’inégalité des chances à la porte des universités, de plus en plus d’étudiantes choisissent volontairement de se prostituer à temps partiel. Pour ne pas renoncer à leurs projets, échapper aux petits boulots, aux organismes sociaux et pouvoir consommer et vivre dès maintenant. Enquête.
🇫🇷 FRANCE ⎜PARIS ⎜ SOCIETY
LES PROSTITUDIANTES
REPORTAGE POOL ⎮ FRANCIS DEMANGE ⎮ SÉBASTIEN DI SILVESTRO
Si Rose, Black Pearl et Laura*** viennent d’univers différents, elles ont basculé subitement dans le même monde. Celui du silence, de la double vie portant un masque, avec un pseudonyme remplaçant un prénom et des photos sexuellement agressives en guise d’identité pour hommes aisés. Sur les bancs de la fac ou avec leurs quelques rares amis, leurs téléphones n’arrêtent jamais de sonner. Dès 9H00, comme ses collègues anonymes, Rose, 20 ans à peine, ouvre sa vitrine sur internet. Dans sa petite chambre du 16 ème elle remonte dans une liste son annonce : « Etudiante...Je n’attends que de vous rendre service dans vos soirées solitaires... ».
En une journée, 123 947 personnes ont fréquenté les pages de ce seul site contenant plus de 4000 « offres de services ». Rose consulte compulsivement ses messages incessants comme autant de chiffre d’affaire potentiel à gérer en fonction de son emploi du temps d’étudiante et celui de ses clients. A tout moment elle peut sillonner Paris pour se rendre dans un hôtel ou même sur un lieu de travail sans omettre d’avoir sous la main une tenue conforme aux désirs variés des clients. Sa garde robe contient à ces effets de nombreux personnages : Lolita ingénue, Justine trash, maîtresse latex, un personnage de fiction à 200 € de l’heure.
Pour assurer sa sécurité, elle mène un long travail de présélection avec des rendez-vous d’évaluation dans des lieux publics. Au mieux, elle peut juste minimiser le risque et à l’heure dite, ravaler ses peurs en affichant son sourire le plus charmeur. Pendant que des inconnus prennent possession de son corps, les yeux grands ouverts, elle dit fermer les siens de l’intérieur. En 2 ans, Rose a déjà perdu ses manières de province industrieuse et circule dans Paris avec une surprenante fluidité. Elle pense savoir un peu tout ce que cachent nombre de façades cossues. Le travail modèle sa vision du monde. Mais elle se veut également, étudiante toujours curieuse de tout, et cherche à retenir essentiellement de ces expériences l’élargissement son horizon. Quoi de plus normal à cet âge que de se construire ? « Je fais le même métier que les prostitués de Saint-Denis, mais pas dans le même monde. J’y apprends beaucoup. Aussi, je n’éprouve pas de haine des hommes. Les clients avec lesquels je couche, je les ai choisi et au fond j’ aurai pu en rencontrer beaucoup sans les faire payer », ment-elle sincèrement. Déjà survivante d'un lourd vécu tout lui semble presque égal et conforme au déroulé.
Issue d’une banlieue du nord difficile, avec une seule grand-mère pour tutrice, Rose a connu de nombreux drames avant de monter à Paris avec l’objectif de travailler dans la pub. Elle décroche un contrat «jeune majeur» pour étudier le graphisme et reçoit une aide de 400 €/mois. « Ca ne suffisait pas, alors j’ai enchaîné les petits boulots et les missions locales. Je devais trouver à me nourrir pour 4 € par jour, le Crous ne pouvait pas m’apporter une aide suffisante, alors des fois je m’évanouissais d’avoir trop faim », se souvient-elle. Pour échapper à son passé et s’élever socialement, plutôt que de renoncer à son objectif et prendre n’importe quel travail à temps plein qui lui serait pourtant accessible, Rose a pris la décision de se prostituer. « Je l’ai décidé parce que je n’avais financièrement pas le choix, mais aussi pour rester libre. Je me sentais tellement décalée par rapport aux employeurs que je rencontrais. J’étais une rebelle. J'ai hurlé sur un travailleur social qu’il ne me restait plus qu’à faire la pute pour finir mes études. Le type m’a répondu : c’est ton problème. J’avais mal. Mais mon choix était fait », raconte-elle sur un air d'ironie amère. Après avoir connus les foyers et les squats du 9-3, elle habite aujourd’hui les beaux quartiers et gagne à raison de 3-4 rendez-vous par semaine environs 4000 € par mois. Depuis elle a investi le Paris underground des artistes, s’achète des chaussures hors de prix, et manque de plus en plus cours, accroc à cet argent rapide et à sa totale indépendance.
A la terrasse d’un café parisien, Black Pearl, à 26 ans et bac +4, ressemble également à n’importe qu’elle autre étudiante. Son visage n’est pas marqué, son regard pétille, son sourire est frais. D’une toute petite voix elle déroule son histoire de fille d’immigrés qui dès la fin de sa première année, n’arrivait plus à boucler son budget, ni à payer les 8000 € annuels de son école privée. Malgré un travail de réceptionniste d’hôtel de nuit et du baby sitting qui ajoutés aux cours, la faisait tourner à plus de 45 heures de travail hebdomadaire. Elle croyait toucher le fond jusqu’à ce qu’une amie lui montre un site d’escort-girl... Comme Rose, elle plonge rapidement avec un appétit d’argent féroce, et une certaine fierté de transgresser les tabous sexuels de sa culture familiale. D’origine musulmane, Black Pearl vit toujours dans la terreur d’être reconnue et lapidée. Alors depuis 3 ans, elle change de pseudo régulièrement, compartimente méthodiquement sa vie et ne se lie vraiment à personne. Mais avec 3500€ par mois environs, elle a non seulement réussit ses études, payé ses factures mais économisé plusieurs dizaines de milliers d’euros. En septembre prochain, elle dit vouloir recommencer sa vie à l’étranger, avec un statut, un diplôme en commerce, et assez d’argent pour démarrer.
« Ce qui m’a le plus surpris, au début, c’était la facilité de gagner enfin, vraiment de l’argent, en y éprouvant parfois du plaisir. Il faut dire que je sélectionne mes clients, à la voix, à l’approche, et surtout, jamais en dessous de 35 ans. Avant, je ne faisais pas en dessous de 40, mais c’est la crise... », soupire Black Pearl en commerçante réaliste. La jeune femme vient d’énoncer une règle identitaire de la prostitution étudiante : les clients jeunes sont systématiquement éconduits. Avec des moyens généralement plus faibles ils représentent avant tout une source de problèmes potentiels. Les moins de 30 ans qui s’amourachent facilement, ne respectent pas les règles et reviennent sonner au beau milieu de la nuit. Ces jeunes a une certaine violence violence du désir, dans une relation tarifée parfois fantasmatique, ne font pas partie de leur clientèle. Chacune d’elles, a commis l’erreur d’en « booker » un au moins une fois et en a payé les frais en coups ou en manque d'espèces. Le client type est plutôt un hommes aisé, en place, de préférence marié ou esseulé par le travail, à la recherche de rapports un peu plus étoffés qu’une simple prestation sexuelle, maintenant de part et d’autre le simulacre d’une relation. Hypocrisie ou courtoisie de classe sociale à minima, la pantomime du rituel amoureux semble définir cette prostitution qui place face à face des besoins tristement complémentaires. Des jeunes femmes en galère, inconsciemment « valorisées » par le prix qu’un homme de bonne condition est prêt à mettre pour les posséder, et de « vieux messieurs », comme le chantait Gainsbourg, ravis de pouvoir étaler leurs valeurs devant des yeux agiles qui s’impressionnent encore. « J’assume qu’il n’y ait pas de différence entre une escort et une prostituée. Je n’accepte d’accompagner des clients en soirée ou au restaurant qu’à condition d’être sûre de ne pas m’ennuyer. De toute façon, les propositions d’escorting, c’est presque toujours pour aller dans des clubs échangistes. D’ailleurs, beaucoup de femmes dans ces clubs sont en fait des escorts. Pour ma part, le client paye juste pour m’avoir moi. En club, je me réserve le droit de refuser d’autres participants », explique Black Pearl consciente d’avoir été une monnaie d’échange, un sésame. Black Pearl gère et entretient son corps comme un fond de commerce qui lui permet d’économiser consciencieusement. Quand elle est contrainte de taper dans sa cagnotte, elle s’oblige toujours à travailler plus pour gagner plus.
« C’est dur quand tu n’as pas envie et qu’aujourd’hui tu te dis, allez, il faut que j’en fasse un » dit-elle au moment même où son téléphone sonne...
LE MAC ? C’EST LE PC.
Comme chaque matin, Laura remonte son aussi annonce sur le site internet hébergé en Suisse qu’elle paye 400€ par trimestre. « Laura, escort-étudiante de 23 ans... » Seulement voilà, Laura n’a plus 20 ans et n’est plus étudiante depuis 10 ans. Mais elle continue de poster pour attirer des clients qui souvent lui demandent sa vieille carte étudiante pour épancher leur soif de jeunesse. Du coin de l’œil, elle surveille les commentaires que laissent les clients sur elle et les autres filles, comme on note une marchandise. « Ce qui est dingue, c’est qu’on paye ces sites qui nous notent alors que nous n’avons même pas le droit de rectifier les commentaires des clients. Du coup, certains essayent de monnayer des bonnes appréciation contre des passes », s’énerve Laura en pointant son annonce surmontant des bannières publicitaires pour des grands organismes de crédits qui achèvent de banaliser le système. Elle reste néanmoins vigilante pour rédiger son annonce légalement, c’est à dire sans tarif, ni racolage excessif, tout en faisant comprendre clairement qu’elle ne se prostitue pas jusqu’au bout. C’est très important pour elle. Comme dans les instituts interlopes, Laura ne propose « que » des massages érotiques avec « finition manuelle ». A chaque coup de téléphone, elle s’assure que le client a bien compris. Elle a déjà été frappée plusieurs fois par des déçus. Laura prend des risques en recevant seule, dans une minuscule chambre en bordel, attenante à l’appartement où elle héberge son père. Comme elle refuse d’aller jusqu’au bout, ses prestations sont moins chères, entre 70 et 150 €, sans avoir conscience qu’elle écope par le fait d’une clientèle avec des exigences d’autant plus marginales. Dix années de métiers à satisfaire ou refuser des désirs salaces allant jusqu’à la zoophilie ont peu à peu fait perdre pieds à Laura. Elle vit au jour le jour, hantée par les souvenirs de sa journée qui lui confisquent le sommeil. Ce soir, elle retrouve un gros client étranger qui la « soigne » depuis 10 ans. Un monsieur important dont elle parle tantôt avec tendresse, tantôt avec mépris. Un vieux monsieur qu’elle prend par le bras dans la rue même si aujourd’hui, il ne la payera pas. "Il reviendra bientôt, et m’emmènera faire les boutiques".
Dommage, qu’aujourd’hui ça n’ait pas été payant pour moi, j’avais besoin d’argent », achève Laura, comme tendant un miroir avec vue sur le futur à ses collègues inconnues, empêtrées dans de la toile du réseau sexuel.
La prostitution étudiante touche une population jeune, économiquement fragilisée, qui sans recourir à cette solution extrême, ne pourrait peut-être pas entamer un cycle d’études. Mais après quelques mois de tapin, et avec de l’argent en poche, toutes confessent que les bancs de la fac finissent par ressembler à un jardin d’enfants. La totale banalisation du sexe et de son économie sur internet les aide à assumer. Forcément, dans une époque où même des étudiantes issues de milieux aisés s’essayent quelques semaines à la prostitution pour le « fun » et la transgression, les codes du porno et de l'échange tarifés sont devenus très populaires. Mainstream. Mais à la différence des esclaves du sexe et des prostituées dans la grande misère sous la coupe de maquereaux, les « prostitudiantes » savent que leur statut résulte d’un choix, d’un refus d’abandonner et d’une prétention à vivre sur un pied correspondant à la valeur de leur corps. Un choix qu’elles jugent anormal dans une République censée couver et aider financièrement ses étudiants. Rose s’est fendue d’une très longue lettre au Président Sarkozy pour lui raconter son histoire. Comme les autres, en croyant prendre un raccourci pour son avenir, elle redoute parfois d’avoir pris un aller simple.
Sébastien Di Silvestro
Les noms et pseudos de ce reportage ont été changés pour préserver l'identité de ses témoins
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