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🇫🇷 FRANCE ORLEANS  SECURITE

LA CITE A DES YEUX

REPORTAGE POOL ⎮ FRANCIS DEMANGE  SÉBASTIEN DI SILVESTRO

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22h30. A thief snatches an old lady's bag and starts running. Two minutes later and two streets away, the young man resumes a slow progress. When a municipal police patrol car slows down at his level, he has no reason to panic and responds politely to the officers. But when they demand to open his jacket, he suddenly recovers his memory: "That's good, I've just found a bag that should be handed in to the lost property". The young delinquent is unaware that eyes have been following him before he committed his theft. In a few minutes the agents will hand him a photo, irrefutable proof noted by a judicial police assistant on duty at the Orléans Surveillance Centre. There is no point in trying to unburden yourself. The custody will last less than 20 minutes. Even before the facts, a CSO teleoperator was following this "prowler in search of a victim" behind the eye of his camera. The second he acted, the agent alerted the nearest police car thanks to a geolocation system on the map. Scheduled interception. No need for a siren.  The hunter's serenity changed sides. 

 

22h30. Un voleur arrache le sac d’une vieille dame et se met à courir. Deux minutes plus tard et deux rues plus loin, le jeune homme reprend une progression lente. Quand une voiture de patrouille de la police municipale ralenti à son niveau, il n’a aucune raison de paniquer et répond poliment aux agents. Mais quand ils exigent d’ouvrir son blouson, subitement, il retrouve la mémoire : « Ca tombe bien, je viens de trouver un sac qu’il faudrait remettre aux objets trouvés ». Le jeune délinquant ignore que des yeux l’ont suivi avant qu’il ne commette son vol. Dans quelques minutes les agents lui tendront une photo, une preuve irréfutable constatée par un adjoint de police judiciaire de garde au Centre de Surveillance Orléanais. Pas la peine d’essayer de se décharger. La garde à vue durera d’ailleurs moins de 20 minutes. Avant même les faits, un téléopérateur du CSO suivait ce « rôdeur en quête de victime » derrière l’œil de sa caméra. A la seconde où il passait à l’acte, l’agent a alerté la voiture de police la plus proche grâce à un système de géolocalisation sur plan. Interception programmée. Pas besoin de sirène.  La sérénité du chasseur a changé de camps. 

Ce n'est pas par hasard que le Président Sarkozy a formulé ses voeux à Orléans, en matière de sécurité, le 14 janvier 2009. Pas plus que ce n'est un hasard si son fils, Jean Sarkozy, s'y est rendu le 3 avril dernier, en visite privée et sans aucun media, pour y entendre un discours de la méthode sécuritaire inédit avant de passer en revue une brigade canine de la police municipale, en tenue anti-émeute ! Car Orléans affiche depuis 8 ans une baisse spectaculaire de sa délinquance sur la voie publique : -66%, un résultat trois fois supérieur à la moyenne nationale, un score qui laisse bien des maires rêveurs. La cité avait pourtant intégré le triste palmarès des villes les plus touchées par la délinquance. Avec des quartiers devenus des zones de non droit, des voitures incendiées à la chaîne et des rues commerçantes sinistrées, l’attractivité du territoire avait fait long feu. En quelques années à peine, l'application d'une politique futuriste version « tri-thérapie » à base de « prévention, dissuasion, répression », a transfiguré le visage de la ville.

 

Depuis, 80 caméras fouillent mécaniquement et H24 le lacis des rues et des équipes de téléopérateurs zooment sur chaque événement suspect. En parallèle, Orléans a réinventé une police municipale d'élite constituée d'anciens militaires formés au raisonnement tactique et suréquipés avec des véhicules géolocalisés, une salle de crise dotée d’une cartographie de la délinquance, une brigade canine hébergée dans les dépendances d’un château... En clair, la sécurité est devenue une mairie dans la mairie, concentrant les pleins pouvoirs en matière éducative et sociale, conditionnant même les aides publiques à l'assiduité scolaire des mineurs... La ville a fait peau neuve avec la mise en place de brigades anti-tags, anti-bris de glace, d’arrêtes anti-bivouacs, anti-mendicité, anti-pit-bulls, avec couvre feu pour mineurs, bref une tolérance zéro pour un objectif crime : à zéro. Les résultats présentent un succès indiscutable qui donne le sourire au Député-Maire précisément élu sur les questions de sécurité. Au risque d’un monde meilleur ?

Centre de Surveillance Orléanais 21h. Les téléopérateurs de jour échangent leurs pupitres avec ceux de la nuit. 80 écrans auscultent la ville en temps réel. Les 2/3 des bâtiments publics sont déjà sous surveillance. « Intrusion dans le secteur du collège Saint-Exupéry, demande levée de doute », lance une voix monocorde. « R.A.S, c’est bon ». «Nous avons investi 1,9 millions dans la vidéo, alors qu’elle nous fait économiser 750 millions d’euros d’assurances », se félicite le député-maire Serge Grouard qui se décrit comme « un gaulliste tendance humaniste ». Tandis qu’il présente ses installations avec fierté, le logiciel « Control Space » balaye l’ensemble des rues en s’attardant sur les quartiers sensibles en plus des regards des agents qui effectuent directement « des rondes manuelles » en zoomant à l’aide d’un joystick. Dans le monde du jeu vidéo, ce type de positionnement du joueur survolant librement un territoire s’appelle « le God mode » (le mode Dieu), sauf qu’ici il s’agit de la vraie vie, d’une vraie ville. La preuve, en contrebas d’un écran, un jeune, seul dans un recoin « peinard » se roule un joint. Il ignore que deux personnes le surplombent en vue plongeante via une caméra située à moins d’un mètre de hauteur. Les agents, zooment dans ses mains pour voir si il brûle de la résine de cannabis, élément obligatoire pour l’envoi d’une patrouille.

 

« On ne s’attarde pas sur les gens, nous recherchons tous les comportements suspects, les attroupements, les chahuts, les rôdeurs, avec le temps on acquiert une sorte de sens », explique Annick, une vacataire qui faisait la sécurité à la sortie des écoles. Sur un autre moniteur, elle observe un agent de police sortir de sa voiture dans l’Argonne, un des deux quartiers sensibles. Immédiatement, elle balise la zone, en gardant un œil sur lui, seul point mobile dans la nuit. « Avant dans ce quartier, il n’était pas rare que les agents se fassent jeter des pierres », raconte-elle encore marquée par le souvenir des émeutes de 2005 et du sentiment d’impuissance pour ses collègues confrontés de l’autre côté de l’écran à une bataille rangée. « Je me souviens aussi de la tentative de suicide d’une jeune fille sur le pont. On avait alerté les secours, mais ne pouvions rien faire d’autre si ce n’est regarder », explique Annick. Regarder certes, mais sans être vu. Quand la caméra s’approche trop d’une façade, un filtre de brouillage se me en place pour empêcher les téléopérateurs de voir à l’intérieur des appartements. Ce floutage a été mis en place par la Mairie qui gère elle-même sa déontologie, sans aucun contrôle extérieur. Mais il peut naturellement être enlevé sur commission rogatoire... Ce « détail » parmi beaucoup d’autres relatifs à la préservation de la vie privée a fait grincer des dents pendant de nombreuses années. Mais après 8 ans de pratiques et plus de 22.000 victimes statistiquement évitées, la violence des questions de principes s’est quelque peu tarie, jusque dans les rangs de l’opposition. L’envahissement des caméras dans le domaine public se fait même oublier des criminels, qui comprennent après coup que les temps ont changé. Truand sous Big Brother, dur métier...

 

« Attroupement suspect de voitures au carrefour du secteur T, préconise envoi de patrouille de police discrète ». Résultat de l’intervention : une saisie de 50 kilos de cocaïne et plusieurs dizaines de kilos de résine de cannabis. Une prise très rare pour des services de police municipale dont les moyens et terrains d’action sont en général réduits au strict minimum... 23h02 Une voiture est incendiée dans la quartier la source. En moins de 5 minutes, les pompiers sont sur place et se rendent maître du feu. Les policiers municipaux sécurisent la zone tandis que les îlotiers font parler les habitants dans la perspective d’une identification photographique à venir. Car les agents du CSO gratteront l’image jusqu’à obtenir un document exploitable pour confondre le ou les auteurs. Dans de nombreux cas, comme des affaires de viols, en récupérant des images stockées pendant 14 jours, ces techniciens parviennent à reconstituer longtemps après les faits, un itinéraire car « les criminels sont forcés de passer par quelque part, donc nous avons forcément des images », explique le directeur de la police. Une prouesse jusqu’alors imaginable dans les seuls blockbusters américains post 11 septembre, enfonçant le clou de « la jurisprudence Jack Bauer » : à situation extrême, moyens extrêmes... « Ici, on ne s’énerve plus, on est calme, même si pendant des années on n’a pas beaucoup dormi. Aujourd’hui les gardes à vue durent plutôt 20 minutes que 24 heures parce qu’une image ne ment pas. Alors si on ajoute un test Adn, le dossier est vite plié », raconte Pascal Desuert, le directeur de la police, un ancien militaire distingué maintes fois, comme la majorité de ses hommes portant sportivement pendant leurs heures de repos des joggings flockés « Police Municipale d’Orléans ». Pas vraiment le profil des anciens gardes municipaux.

UNE POLICE TERRITORIALE D'ÉLITE

La Police Municipale a élu domicile dans les locaux de l’ancienne mairie. Tout y est en ordre méticuleux avec des installations flambant neuves. Et même les hommes de "base" parlent de leur métier avec retenue, déontologie et un professionnalisme dépassant largement les compétences ordinaires d’une police territoriale. Tel patrouilleur est un ancien béret vert, tel autre un ancien des missions de reconnaissance de la première guerre irakienne...

 

Si aux débuts des années 2000, il n’a pas été facile pour ces hommes d’instaurer leurs nouvelles prérogatives auprès de la population des jeunes de cité, force est de constater que ceux-ci leur parlent aujourd’hui avec un respect craintif. Et pour cause, si la videosurveillance constitue une avancée technologique majeur, l’ensemble du programme repose sur une police municipale veillant à tous les aspects de la tranquillité publique au travers d’un véritable quadrillage militaire de la ville : avec un important volet renseignement plongeant ses racines dans les quartiers, dans l’éducation et le social. Une politique générale de sécurité inédite en France. Orléans représente une valeur d’expérience, de laboratoire sécuritaire qui pourrait expliquer ces installations, ces véhicules high-techs, ces 12 motos BMW 1200rt avec des systèmes expérimentaux, ces salles de crises avec cartographie de la délinquance par quartiers, horodatée et vidéo- projetée, comme à New-York ! Une valeur de test qui explique clairement cette volonté de résultat grignotant chaque mois 20 ou 30 faits de voie publique en moins. Des chiffres sans appel. 

 

L'ARCHITECTE DISCRET DE LA NOUVELLE SÉCURITÉ

Un homme est l’architecte et le théoricien de cette combinaison sécuritaire et sociale. C’est lui et non le maire que venait rencontrer en toute discrétion, le vendredi 3 avril dernier, Jean Sarkozy. Au sortir de sa voiture, le jeune élu des Hauts-de-Seine flanqué de 2 gardes du corps embrasse Florent Montillot, le maire- adjoint « délégué a la sécurité, a la tranquillité publique, la prévention, la réussite et l’intégration », bref, l’homme des pleins pouvoirs. Il a mis en place l’ensemble du système assorti de mesures de détection des comportements violents dès la maternelle, conditionné les aides publiques des parents à l’assiduité scolaire des enfants, crée un comité d’admonestation quand l’autorité parentale se trouve en défaut, et travaille en réunion interdisciplinaire sur chaque famille « à problèmes ». Florent Montillot est un théoricien de la sécurité auteur de 7 ouvrages dans lesquels on retrouve des thèmes repris par le Président tels que la suppression du juge d’instruction... Déjà vieux bretteur de la République il a beaucoup fait parler de lui au travers de son couvre feu pour mineurs et de ses arrêtés « antis » ainsi que pour son travail actuel avec Melchior, en charge du dossier de la vidéoprotection sur le territoire national. Brice Hortefeux l’avait surnommé « le Sarkozy d’Orléans », une carte de visite pour ce politique conseil en sécurité dans le privé dont les livres figurent en bonne place dans la bibliothèque du Président.

 

Au programme du jour, il détaille les résultats de ses 8 années d’expérience à un Jean Sarkozy enthousiaste. Ensemble, ils se rendent à quelques kilomètres, au château de la charbonnière pour assister à une démonstration de la brigade canine de la police municipale qui donne un spectacle d’une précision impeccable. « Nous constatons sur l’ensemble du territoire des symptômes comparables, aussi est-il normal de prendre des idées auprès de ceux qui appliquent des remèdes qui marchent », affirme le jeune élu des Hauts-de-Seine. Si Jean Sarkozy est officiellement venu en son nom propre, au moment de serrer les mains des hommes de la brigade, il glissera une médaille frappée aux armes de l’Elysée dans la poche du directeur de la police « De la part de mon père », souffle-t-il. Idem, en version plus volumineuse pour Florent Montillot. Preuve, si besoin était que le Président de la République garde un œil solidement rivé sur le programme Orléans.

L'expérience a soulevé des trombes de questions de principes en présentant ses résultats de façon imparable. Les adversaires de ce système argumentent qu’il ne s’attaque qu'à la délinquance visible. Ce qui permettrait à la ville d'enfouir commodément une bonne part de sa criminalité sous le tapis des cités alentours. Hors bilan chiffré local. Bref, que le tapin se poursuit plus loin, dans une insécurité d'autant plus dangereuse qu'hors radars. Néanmoins, sous le feu des projecteurs, Orléans affirme s'être doée de solides garde-fous et d’une chaîne de commandement sans faille. Mais si d’aventure ce programme dédié à la tranquillité du plus grand nombre, assez dur avec les citoyens « moins comme il faut », devait être élargi à de nombreuses villes françaises, ce serait au tour de l’éthique d’exiger des preuves formelles certifiées.

Sébastien Di Silvestro

 

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