Maroc 19/08/2018
SHOOT YOUR FACE : QUAND 1001 VISAGES RACONTENT LA VILLE DE RABAT
"Inconnus, grandes familles rbaties, chacun à façonné l’histoire de cette ville."
par Yasmine BIDAR
CULTURE - Si Rabat pouvait se conter, elle n’aurait pas un visage mais 1001... À travers une pléiade d’individus, inconnus ou grands noms de l’histoire de la ville, la capitale se dévoile sous forme de portraits, de vidéos et de textes grâce au projet franco-marocain Shoot your Face (SyF).
“SyF, c’est quelque chose qui démarre confidentiel, il est ensuite chuchoté, il va faire progressivement un peu de bruit et à la fin, tout le monde veut en être”. C’est par ces mots que le photographe Sébastien Di Silvestro décrit ce projet particulier qu’il a fondé puis initié une première fois en France. Après la ville de Nancy, où son travail rencontra un franc succès, il pose ses bagages dans la capitale marocaine pour y créer une large bibliothèque humaine qui se veut miroir de la société et un patrimoine culturel et historique.
Journaliste de formation, Sébastien rend compte de la réalité mais invite aussi au voyage à travers des histoires et témoignages “tout en faisant en sorte que les gens se comprennent” précise-t-il au HuffPost Maroc. “C’est le coeur philosophique de ce projet à vrai dire. Il part de mon métier initial dans la presse où j’utilise le texte, la vidéo et le son pour rendre compte” poursuit-il.
Un projet sociologique pour saisir l’âme de la ville
SyF était au départ une idée entre amis qui a vite pris de l’ampleur avant de devenir un projet sociologique pour comprendre une ville et son âme, avec ses points saillants et positifs “dans ce qui rassemble et pas dans ce qui différencie” indique Sebastien. “Pour Nancy, on n’avait que quelques portraits de personnes, puis rapidement on ne pouvait plus s’arrêter, on a continué à donner la parole à de plus en plus de gens”.
Le Maroc faisant partie de son histoire familiale, il contacte deux amis à Rabat pour leur faire part de son envie d’y exporter son concept. “C’est une ville qui m’est totalement étrangère mais je suis particulièrement admiratif de ce qu’elle a accompli en toutes ces années. En terme de culture déjà, l’art est présent partout dans la ville, il y a eu de magnifiques expositions culturelles et photographiques. On s’est alors dit qu’on allait tenter les portraits ici” explique le photographe qui cherchait une grande ville “avec un rayonnement international” pour faire grandir le projet, en faire un défi.
“On m’avait dit ‘A Rabat au Maroc, vous verrez, les gens ne se livreront pas facilement, ils n’accepteront pas de poser, ils sont plus réservés qu’ailleurs’. Ce qui s’est révélé être faux. Cela a été, au contraire, une grosse surprise, il y a eu un certain enthousiasme, les gens
ont pris plaisir à se raconter.”
Avant de prendre ses aises pour un moment dans la ville, SyF, comme tout projet artistique de grande envergure, passe par une phase de faisabilité pendant plusieurs mois. Durant quatre à cinq mois, la petite équipe de Sébastien a sillonné la ville à la recherche de mixité, de divers endroits qui toucheront plusieurs types de population, afin d’y organiser des journées de rencontres et de séances photos.
“Lorsqu’il s’agit d’événements privés avec des personnes ciblées qu’on veut interroger, on envoie des invitations, mais lorsqu’on cherche du monde, on publie des annonces sur les réseaux, et on parle avec les gens qui passent et viennent sur place. On installe deux black box (boîtes noires), les gens y rentrent un par un et se libèrent, s’ouvrent” détaille Sébastien.
Le photographe disparait, les questions fusent: “quel enfant étiez-vous?” ou bien ”êtes- vous content de l’homme/de la femme que vous êtes aujourd’hui?”. Pendant quelques minutes, le contact se crée. “On fait la photo à ce moment-là précis, celui où la personne commence à se livrer. On capture alors la spontanéité, un moment vrai, pour montrer la profondeur des gens”.
Des gens qui sont inconnus ou des grands noms de la ville. A ce sujet, Sébastien a rencontré d’illustres personnages comme Mohamed Taoufik El Kabbaj, ancien diplomate et ancien directeur des affaires chérifiennes, qui passa sa vie dans les différents cabinets de trois rois, Mohammed V, Hassan II et Mohammed VI. “Un grand monsieur, un personnage extraordinaire qui a côtoyé les puissants de ce monde. Lui parler nous a permis d’entrer dans les profondeurs de Rabat, de comprendre l’histoire du Maroc aussi” affirme-t-il.
Des anecdotes passionnantes auxquelles s’ajouteront d’autres en septembre prochain où une séance sera organisée pour rencontrer d’autres anciennes familles rbaties “et rendre compte de ces familles qui ont fondé cette ville au patrimoine important. D’ailleurs, inconnus ou grands noms, tous ont façonné l’histoire de Rabat. On va interroger des jeunes sur ce qu’ils veulent, espèrent, combattent. On cherche à raconter une histoire contemporaine.”
45 heures de travail par personne
En cinq mois environ, près de 350 portraits, photos ou vidéos, ont déjà été réalisés, dans un noir et blanc particulier, très exigeant et très dense. Chaque portrait nécessite une heure et demie à deux heures de développement par personne. “Si on fait le compte entre le temps passé entre indexation et questions, il faut 45 heures de travail pour un portrait”. Chaque journée de shooting, Sébastien et son équipe rencontrent une dizaine
de personnes autour d’un café, d’un thé ou d’un verre.
“Nous ne sommes pas passés par le réseau des villes pour venir à Rabat. Nous avons toutefois le soutien de la mairie, de la région et nous avons eu une rencontre au ministère de la Culture pour présenter le projet, puis des partenaires privés nous suivent dans cette aventure” précise-t-il.
A la fin de ce parcours qui durera deux ans, un livre de récits et photos sera édité et les vidéos sortiront sous forme de documentaires pour créer une mémoire vivante actuelle.
Le projet, in fine, fera l’objet d’une exposition, en 2019, une fois qu’il deviendra “bien mature”. Les portraits photos des Rbatis seront ainsi exposés partout dans la ville, sur des modules urbains, car le but ultime de SyF est de rendre accessible à tous l’art et le savoir. “On ne cherche pas à faire une expo où seuls les initiés et amateurs d’art habitués des galeries et vernissages se rendront. Tout le monde est légitime, tout le monde est beau, tout le monde mérite d’être raconté” conclut Sébastien Di Silvestro.