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LES NOSTALGIQUES DE L'URSS

REPORTAGE POOL ⎮ FRANCIS DEMANGE  SÉBASTIEN DI SILVESTRO

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They are teachers, champions, diplomats, businessmen, students, retirees... Today, they all miss the life and values of the USSR, in a Russia that is suffering the full force of the global economic crisis against a backdrop of identity crisis. With unemployment at 10% and pensions at less than €150 per month, those most affected are bringing out their old red flags. More surprisingly, even the well-off social categories, favoured by the system, feel a strong sense of nostalgia. On the other hand, if everyone shares a steely patriotism inherited from the USSR, between Putin's and Stalin's people, it is the final struggle of memory.

Ils sont professeurs, champions, diplomates, hommes d’affaires, étudiants, retraités... Aujourd’hui, tous regrettent la vie ou les valeurs de l’URSS, dans une Russie qui subit de plein fouet la crise économique mondiale sur fond de crise identitaire. Avec un chômage a 10%, des pensions de retraites à moins de 150 € par mois, les plus touchés ressortent leurs vieux drapeaux rouges. Plus étonnant, même les catégories sociales aisées, favorisées par le système, éprouvent un fort sentiment de nostalgie généralisée. En revanche, si tous partagent un patriotisme d’acier hérité d’URSS, entre le peuple de Poutine et de Staline, c’est la lutte finale de la mémoire.

A 72 ans, Valery Victorovitch quitte comme chaque matin son petit appartement communautaire de la banlieue de Moscou. Sur le chemin, il toise douloureusement les affiches aux slogans exaltant le peuple russe : « 9 mai 45, le jour de la grande victoire patriotique : pas pour nous, mais pour la vie sur terre ». Ou encore : « la famille un chef d’oeuvre de la nature ». Doyen de la faculté d’aérodynamique, cet ingénieur qui a travaillé sur le vaisseau de Gagarine ne peut s'empêcher d'aimer ces slogans ayant porté toute sa vie. Mais a la veille du 9 mai, le "Victory Day" qui s’affiche absolument partout en Russie, Valery Victorovich communiste, ex citoyen d’URSS confie son ulcération de l'ère Poutine « qui a livré la Russie aux oligarques et à la valeur suprême de l’argent ». L'homme ressent cette utilisation de la mémoire par l'antithèse radicale de ses valeurs comme un vol de son propre passé glorieux.

 

Dans quelques jours l’armée russe défilera sur la place rouge, toujours fermée au peuple, pour commémorer cette grande victoire d’une URSS qui ne dira plus son nom. « Poutine est notre malheur, il veut liquider l’héritage de Lénine et Staline. C’est l’armée rouge qui a vaincu l’ennemi, pas celle de ce système voué à l’argent qui nous ignore », déplore Valery d'un souffle pâle son fond de ciel bleu frais, en rejoignant trois de ses voisines âgées, également veuves, qui veulent assister au « May Day » : « l’appel au secours ou SOS ». C’est ainsi qu’a été rebaptisé cette année, la traditionnelle fête des travailleurs russes. Car la crise redonne une actualité et une vigueur au parti communiste qui surfe sur les problèmes des retraites et de la formidable disparité des revenus.

 

Valery et Nina Ivanovna (qui dirigeait 900 ouvriers dans une usine soviétique) s’engouffrent dans le métro Bieloruskai pour rejoindre la manifestation. Un sourire les éclairent quand ils se mêlent à la foule des 10.000 personnes, selon les organisateurs. Sur le podium barrant la route à la statue votive de Karl Marx, l’homme au micro harangue sans une respiration : « Ici est réunie toute la jeunesse des Komsomolsks et des pionniers. « Hourra ! ». En fait de jeunesse se masse un agrégat de troisième âge marron tenant sur son arthrite par une volonté de fer. Une volonté glacée au parfum de rêve amer que l’ancienne incantation ranime encore : l’humanité, le genre humain, l’effort.  La victoire, et l’excellence, formules et slogans, ouvrent encore les portes de cette vieille âme russe. La Pravda (vérité) plutôt que Prada. Et ils sont là par milliers, anciens ingénieurs, professeurs d’université, chefs d’industries publiques, aviateurs, militaires, ou simples ouvriers, tous diplômés, décorés, honorés maintes fois par la grande Union Soviétique qui promettait leurs efforts à un avenir radieux, à faire face aujourd’hui au vide béant qui les a avalé. Pour eux la chute de l’URSS et de son rêve ne pourrait avoir d’égal pour un peuple que la mort de Dieu. Et dans ce nouveau monde d’après, soumis à l’argent et gagné par une misère sans cause idéologique, chacun de ces retraités « sublimes travailleurs », ne touche que des pensions comprises entre 3000 (environs 68 €) et 10.000 (230€) roubles. Pourtant, le minimum vital à Moscou tourne autour de 16.000 (365€). Ils ont tout donné à l’URSS pour n’obtenir au seuil de la vieillesse pas même la plus élémentaire des dignités.

 

Au micro, les chants patriotiques zébrant le vent glacé peinent à redonner un peu d’espoir. On se serre et on rêve sans vraiment y croire à une révolution nouvelle avant de reprendre le chemin de son appartement communautaire. Loin, très loin des logements des élites financières haïes qui ont conquis l’immense cercle noir du coeur de Moscou. Les vétérans d’une longue guerre idéologique s’indignent d’être abandonnés par le pouvoir en place : eux, ils ont « vaincu l’ennemi de la grande guerre patriotique de 45, la famine, la pauvreté, envoyé Gagarine dans l’espace, hissé le drapeau de la culture », et pardessus tout, ils ont fait trembler ce monde qui les regarde aujourd’hui comme autant de vestiges gênant d’un passé par pertes et profits.

Sous la faucille et le marteau, 3 pilotes, Victor, Alexandre et Nicholas, retraites d’Aeroflot, posent fièrement en uniforme. Eux aussi, viennent d’abord pour leurs pensions de 3500 roubles (79 € par mois). Mais pris dans les retrouvailles avec le fameux général Kandrachov qui leur ouvre grand les bras, la nostalgie et la colère s’emparent  très vite du trio : « A l’époque soviétique l’aviation était a son plus haut niveau, avec des relations au pouvoir on ne peut plus proche. Les nouveaux riches sont des voleurs illégaux portés ignoblement sur le devant de la scène. Combien gagne un retraite d’Air France ? Quoi ? Pourtant le travail est le même. Et plus dur même pour nos qui pilotions dans des circonstances techniques très difficiles », s’écoeure Victor. Quand Valery, qui perçoit également une pension misérable de 3650 roubles par mois (84 euros et le double en continuant à travailler), croise de jeunes filles portant fièrement la vareuse du Parti, il repart : « Il n’y a pas de fin du communisme, il n’y en aura jamais…Il n’y a que deux concepts dans le monde, le privé et le commun, nous communistes voulons revenir au bien du genre humain ».

 

Même si pour ces jeunes femmes aux ongles soigneusement vernis, imaginer un nouvel état communiste permettrait surtout « de rendre beaucoup de choses gratuites », dit-l'une d'elles en rêvant d'un nouvel iphone et à tous ces biens de consommation qui s'affichent côte à côte avec le Grande Victoire sur les écrans géants de Moscou. Si une certaine jeunesse se rapproche du PC pour de confuses raisons, une sérieuse relève est assurée par des motivations originelles de la révolution avec mise à jour. « Nous sommes ici parce que la majorité du peuple russe vit mal. C’est à nous, jeunesse du parti communiste de prendre les choses en mains », explique Maria, 23 ans, étudiante. D’autres jeunes sont la à pour prendre la relève de leurs parents, d’autres "néos" pour promouvoir les valeurs des pirates informatiques « qui sont marxistes par essence », explique Andreï 22 ans, vendeur en informatique. D’autres encore se rallient au Parti Communiste alors même que leurs parents avaient vécu l'effondrement du bloc soviétique comme une libération de corps et d'esprit si soudaine qu'elle les avait laissé nus. Mais une libération nécessaire. 

 

C’est le cas de Sergueï et Hélèna, un couple de jeunes enseignants en école primaire, dans la lointaine banlieue de Moscou. La mauvaise paye (environs 230€ par mois), les mauvaises conditions d’éducation des enfants, les conduisent à une nouvelle lecture de l’histoire. « Et puis, le parti a changé, les enjeux ne sont pas les mêmes. », professent-ils avec assurance. Pourtant, cette nostalgie chevillée à la crainte des problèmes présents n’est pas l’apanage du seul parti communiste mais de la majeure partie de la société russe. En 2003, 43% des russes souhaitaient encore une nouvelle révolution rouge. En 2009, avec la crise économique démontrant l’ampleur des failles du capitalisme mondial, l’URSS est toujours, et plus que jamais, omniprésente.

L’OSTALGIE CAMARADE ! 

Partout à Moscou des discothèques, bars, tee-shirts, casquettes, joggings proclament une identité soviétique. Le souvenir du goulag et des seules conversations de cuisine, télé allumée, semblent avoir disparu. Son évocation revient à stigmatiser l’actuelle Russie des patriotes qui peine à envisager sa place dans le monde et craint le "métissage" de sa société. Pourtant, depuis maintenant 18 ans, la Russie a largement revisité son histoire, et massivement condamné les morts de Staline…

 

Seulement, les gouvernements successifs, en période de crise, agitent sans cesse le spectre du retour des communistes comme un épouvantail. Une méthode contre-productive sur la durée qui dans la détestation des nouvelles élites redonnent tout leur panache aux anciennes valeurs de gratuité et d’élévation morale. Cette nostalgie d’un autre monde possible trouve un formidable terreau dans l’ultra patriotisme russe forgé par une longue histoire d’exaltation.

 

Dans le bâtiment cyclopéen du MID (Ministère des Affaires Etrangères) une des 7 tours « soeurs » staliniennes, Maria Zakharova du département presse, proche collaboratrice de Sergeï Lavrov, accueille ses visiteurs dans ces couloirs interminables dont le lustre décati raconte à lui seul une douloureuse histoire. Fille d’un diplomate-sémiologue, Maria Zakharova a grandi à Beijing, en Chine. « Nous sommes partis d’URSS pour la Chine et des années plus tard nous sommes rentrés en Russie. C’était un tout autre pays. Les valeurs avaient été complètement bouleversées. Avant, les diplomates constituaient la bonne société, à notre retour, nous n’étions plus rien. La valeur suprême était devenue l’argent », soupire-t-elle avec mépris. Même si le changement de régime lui a permis d’entamer des études jusque lors interdites aux femmes, Maria se souvient de l’appétit d’argent qui avait soudainement vidé les universités. Tous s’étaient lancés dans les affaires. Aujourd'hui encore, ceux qui font des études cherchent surtout à intégrer l’administration pour se faire des relations avant d’entrer dans le privé. « Au service de l’Etat, au début de ma carrière, je gagnais environs 100 € par mois. Alors mes amis me demandaient comment je pouvais travailler pour ce salaire ? Je leur répondais que je travaillais pour rien. Que je travaillais pour ma mission et qu’en compensation on me donnait ces 100€. Je ne suis pas nostalgique, mais je suis pour les morales absolues qui ne changent  pas. Nos valeurs ne sont pas simples, nous, les russes, cherchons toujours quelque chose de plus grand », conclue-t-elle comme on assène une évidence. Si l’adhésion au PC ne concerne qu’une petite partie de la société russe, l’adhésion aux valeurs de l’URSS concerne bien une immense partie de la population.

 

Entouré d’enfants qui s’exercent durement sous le regard glorifié des peintures d’anciens champions, IBRAHIM est aujourd’hui entraineur de lutte greco-romaine dans la grande banlieue de Moscou. Cependant autrefois, il a été plusieurs fois champion du monde de ce sport olympique par excellence, 2 fois champions d’Europe et 5 fois champion de Russie. Mais plus que tout, Ibrahim fut un champion soviétique. « C’était une époque très différente ou la volonté de gagner était un fanatisme », explique ce géant de 100 kilos un sourire doux sur les lèvres. « A cette époque la volonté individuelle de se battre pour un collectif était très forte contrairement a aujourd’hui ou l’argent est l’idée dominante dans le monde du sport dont le niveau est de plus en plus bas. C’est très dur d’expliquer ça aux jeunes, mais quand l’URSS était debout nous ne battions pas un adversaire mais un autre pays, une idéologie », se souvient Ibrahim avec un sentiment de perte immense. Quand on l’interroge sur sa vie de champion d’URSS, il rappelle n’avoir jamais perdu un combat contre un américain. Aram Akopovich son entraineur et fondateur de la grande école de lutte d’URSS ajoute : « Ma carrière a été soviétique dans le système soviétique dans le temps soviétique. Le cerveau de l’actuelle génération est pleine de mirages, ils n’ont pas de volonté et en souffrent. Moi j'ai grandi en Armenie dans une génération qui pouvait aller aux championnats avec des membres cassés et gagner. Pourtant je dois continuer à enseigner dans ce système. Je ne peux pas prendre de l’argent sans donner quelque chose de vrai en échange », dit-il en regardant un jeune lutteur de 12 ans en surpoids tentant de soulever des altères.

LA VERITE SUR LA PRAVDA. 

Les oligarques ne sont pas seuls à conspuer l'ancien logiciel mental. Ceux qui ont connu intimement les rouages soviétiques continuent de se battre pour l’ouverture de la société russe. Une lutte sur le fil de l’identité. C’est le cas de Vladimir et Evegueni Sukhoi, père et fils, respectivement directeur et présentateur de la chaine internationale d’information continue de langue anglaise : Russia Today, le CNN russe. Quand le jeune Vladimir arrive à New York avant d’y devenir le rédacteur en chef de la Pravda, cette ville lui semble un enfer « avec toutes ces voitures et sa criminalité galopante. » Mais au bout de quelques mois, il finit par apprécier ce pays qu’il démonte méthodiquement dans ses écrits. A la chute de l’URSS en 1991, n’ayant plus de mère patrie, il revend sa voiture et ses meubles pour se payer un billet d’avion pour Moscou. « C’était très dur, je n’étais plus rien, les gens se mettaient à détester les correspondants de la Pravda », explique-t-il sobrement. En 6 mois, il devient rédacteur en chef de Chanel 1 et proche de Gorbatchev dans une nouvelle situation journalistique inédite, comme tout à cette époque en Russie. En 2005 il devient directeur de la nouvelle chaine d’information internationale « Russia Today ». « Je n’ai rien de nostalgique, parce que moi, je connaissais tout le système de l’intérieur. Je haïssais ça et le PC pour lequel chaque mois je passais de l’argent en fraude sans jamais pouvoir parler. C’était très dur de revenir au pays après les USA. On me demandait de faire de la propagande et moi je pensais, j’y étais, je sais très bien que tout est faux ! Alors la nostalgie, surement pas ! », ironise-t-il. La fierté de Vladimir s’incarne dans le parcours fulgurant de son fils, qui a connu les opportunités professionnelles d’une autre Russie. Evegueni résume : « chaque jour j’interroge en direct des correspondants étrangers en langue anglaise. C’est un vrai défi qui nous permet de donner notre lecture à l’est. Mais le plus important, c’est que nous communiquons aujourd’hui avec le monde entier ». Une tout autre internationale.

Sébastien Di Silvestro

 

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